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Le déclic : un question-réponse avec acteur Jay Baruchel

Le comédien, scénariste et réalisateur revisite les coulisses de son dernier film sur l'ascension et le déclin de BlackBerry, et explique sa volonté de raconter des histoires canadiennes.

Par: Ben KrizDate: 2023-03-14

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Jay Baruchel joue la comédie depuis l'âge de neuf ans, et il est évident qu'il est toujours aussi passionné par son travail. « Je ressens une grande excitation, une grande joie et un grand épanouissement quand je joue, mais ma raison d'être est toujours de réaliser des films », déclare-t-il.


Après avoir déménagé à Los Angeles, Baruchel est apparu dans des comédies à succès comme Knocked Up, Tropic Thunder et This is The End, a prêté sa voix dans la franchise How to Train Your Dragon et a joué dans les films cultes Goon. Mais malgré son impressionnant CV, il est resté l'une des vedettes canadiennes les moins hollywoodiennes. Il vit toujours à Toronto et veut raconter des histoires sur son propre pays.


« Si j'étais dans n'importe quel autre pays du monde et que quelqu'un me demandait “ pourquoi veux-tu faire des films ici "... eh bien, personne ne poserait la question. Mais ici, on pose la question et on donne une mise en garde, parce que [les talents canadiens] ont tellement l'habitude d'articuler la culture de quelqu'un d'autre pour eux! »


Son dernier projet est certainement aussi emblématique qu'une histoire canadienne peut l'être. Au printemps, il sera la vedette d'un nouveau film sur l'ascension et le déclin spectaculaires de BlackBerry. Ce géant de Waterloo, en Ontario, a révolutionné l'industrie de la téléphonie mobile bien avant qu'Apple ne lance l'iPhone, aujourd'hui omniprésent. Aux côtés de Glenn Howerton (It's Always Sunny in Philadelphia) dans le rôle du co-PDG Jim Balsillie, Baruchel incarne le fondateur Mike Lazaridis dans une histoire rocambolesque traitant de l'ambition et du partenariat tumultueux entre les deux innovateurs.


L'acteur, scénariste et réalisateur originaire de Montréal s'est entretenu avec Harry autour d'un café dans son lieu de prédilection à Toronto - le White Lily Diner - pour parler du film, du fait de raconter des histoires canadiennes et de travailler avec Arnold Schwarzenegger.


Félicitations pour le film! Comment t’es-tu retrouvé impliqué dans un film traitant d'un sujet aussi important de l'histoire du Canada?

Ça fait quelques années que je connais [le réalisateur] Matt Johnson, et je l’admire depuis plus longtemps. Nos cercles sociaux se sont chevauchés au fil du temps et il m'a contacté il y a quelques années pour me dire : « Je vais faire un film sur BlackBerry et j'aimerais que tu incarnes l'un des deux fondateurs. » J'ai lu le scénario et j'ai trouvé qu'il remplissait toutes les conditions. Je veux raconter des histoires définitivement canadiennes, surtout s'il s'agit d'une histoire récente et si profondément liée au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. C'est une histoire que le monde devrait connaître.


Comment Johnson s'y prend-il pour raconter une histoire?


Il fait beaucoup de prises et personne n'est plus sévère que lui à l'égard du scénario et des dialogues. Il vous fait savoir quand il manque quelque chose, mais le reste du temps, c'est comme s'il disait : « Voici les paramètres de jeu. S'il y a un moment plus organique et plus proche du personnage qui n'est pas sur la page, allons-y. »


Nous avons beaucoup d’atomes crochus, mais même si ce n'était pas le cas, je respecte son opinion et j'aime sa façon de travailler et ce qui lui tient à cœur. Même s'il fait 40 °C dans une aciérie désaffectée d'Hamilton en pleine canicule, que je porte une perruque et qu'il m'a fallu deux heures pour l'enfiler, qu'elle sent la merde et que je suis malheureux… Je lui fais confiance et je sais que le film sera bon!


As-tu trouvé que tu avais beaucoup de points communs avec le personnage?


Définitivement, oui. Il est un peu dans les marges. Un homme peu commode qui ne s'adapte pas au monde. Il aurait préféré être sans le sou plutôt que de construire quelque chose en quoi il ne croyait pas. Tout devait être un projet de passion pour lui.


L'une des choses qui me font vibrer, c'est que le film raconte l'histoire de trois Canadiens patriotes dans un pays où il est si difficile de définir la chose. Ils voulaient battre les Américains. Jim Balsillie s'est dit « qu’ils aillent se faire foutre, ils [les Américains] vont me manger dans la main, ils vont venir à moi ». Pas depuis Toronto, mais à Waterloo. C'est quelque chose qui m'habite énormément.

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À propos, tu t’es installé à Toronto ces jours-ci et tu es très impliqué dans les productions canadiennes et la scène locale. Tu m’as l'air d'un type qui porte l’Unifolié un peu plus que d'autres acteurs locaux qui travaillent aux États-Unis.


C'est tout à fait juste. Les parents de mon père sont de fiers immigrants qui ont choisi ce pays et qui l'ont bien accueilli. Quant à ma mère, elle est néo-écossaise de souche. Elle a grandi sur une base militaire où mon grand-père était soldat de carrière. J'ai donc grandi auprès de personnes qui ont prêté serment à ce pays.


J'ai vu d'autres ménages où la terre promise était toujours à l'extérieur du pays et où ce n'était qu'une question de temps avant que les enfants ne puissent aller à l'école ailleurs. Ce n'est pas ce que j'ai vécu.


J'ai été élevé dans l'idée que notre pays était le meilleur au monde. Nous sommes revenus à Montréal en 1993 et mon patriotisme a été tempéré par le feu du référendum des années 90 au Québec. Je suis ensuite allé aux États-Unis à l'âge de 18 ans, ce qui a renforcé encore plus mon patriotisme. Ce n'est pas pour rien que j'ai une feuille d'érable rouge tatouée sur mon cœur.


Nous avons été conditionnés à nous attendre à une sorte de « canadianité » subliminale. On écouterait tous Wayne's World et on y trouverait des références que les Américains et les Britanniques ne comprendront pas, même si l'action se déroule à Aurora, dans l'Illinois.


C'est ce qui fait de BlackBerry une histoire digne d'être racontée. Les Canadiens, nous sommes habitués à voir une version rurale romancée de nous-mêmes plutôt qu'une version urbaine de nous-mêmes. On n’écoute pas les histoires urbaines, on n’écoute pas les histoires de technologie et de Bay Street. On est beaucoup plus à l'aise lorsqu’on s’identifie à Letterkenny, Goon et Trailer Park Boys.


Lorsque tu as lu le scénario, qu'est-ce qui t’a le plus surpris?


Les trucs dingues et énormes qu'ils faisaient, comme l’antidatage d’options d'achat d'actions et toutes ces grandes fluctuations que je ne savais pas qui avaient eu lieu. J'avais un BlackBerry jusqu'à il y a environ quatre ans. Je n'ai acheté un iPhone que l'année dernière. Je ne savais pas à quel point BlackBerry avait joué un rôle important dans la création du monde moderne. Personnellement, je ne comprends toujours pas pourquoi l'iPhone est meilleur. Les touches dures étaient tout simplement bien meilleures, avec leur clic satisfaisant!


Comment était-ce de travailler avec Glenn Howerton?


La plupart des gens le connaissent comme Dennis dans It's Always Sunny in Philadelphia, mais il est incroyable dans ce rôle. Le meilleur. C'est une machine et il s'est rasé la tête pour le film! Il n'était pas obligé de le faire. C'est ce qu'on obtient quand on s'entraîne avec une sommité formée à Julliard! Il fait des trucs géniaux dans ce film. Il ne se plaint jamais, il s'adapte à tout ce qui se passe. Si vous le mettez sur la glace, le changement en vaudra la peine. Il met la rondelle dans le filet à chaque fois.


Quelles sont tes sources d'inspiration en tant que comédien, réalisateur et créateur?


Je sais qu'un film est vraiment bon ou vraiment mauvais lorsque je suis inspiré pour écrire dès qu'il est terminé. En général, on regarde un film le soir, puis on prend une tasse de thé et on va se coucher. Mais quand je regarde un film et que je dois immédiatement aller sur mon ordinateur, c'est soit parce que c'est la meilleure chose que j'ai jamais vue et que ça m'a inspiré, comme « c’est pour ça que je veux faire ça ». Soit parce que je me dis « ils ont tout gâché, ils ont eu cette opportunité et voilà le résultat ». Mais dans les deux cas, c'est une bonne chose.


Je lis toujours deux livres en même temps. Je me perds beaucoup sur Wikipédia et j'ai aussi la chance d'avoir un endroit où on peut s’échapper dans les 1000 îles, près de Kingston, et être simplement dans la brousse. C'est le pays de Dieu et il est difficile de ne pas s'en inspirer.

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J'ai lu que tu étais également un passionné d'histoire. Y a-t-il des histoires canadiennes peu connues que tu aimerais raconter à l'écran ?


Sans aucune hésitation. Je dirais la Seconde Guerre mondiale et la Première Guerre mondiale, mais aussi le Moyen  ge et les croisades.


J'ai acheté les droits d'un livre intitulé Malta Spitfire, une autobiographie écrite par un pilote canadien de Spitfire et publiée en 1946. Il a été l'as du Spitfire le plus titré du Canada. Il a 27 victoires confirmées, dont 15 ou 20 en deux semaines au-dessus de Malte. Avec quelques Canadiens et Britanniques, il s'est rendu sur l'île (à l’époque, l'endroit le plus bombardé de la planète), a nettoyé le ciel et a sauvé la situation. C'est un personnage extraordinaire à tous points de vue.


Nous avons besoin d'un peu plus de ce genre d'histoire dans ce pays.


Exact. La Grande Évasion? Tous les hommes de ce pays ont regardé ce film avec leur père et leur grand-père, et la plupart des personnages sont canadiens dans la vraie vie. Il n'y avait pas d'Américains dans ce camp, car il était réservé aux aviateurs du Commonwealth. Tout le monde pense que Steve McQueen, l'Américain, a sauvé la situation alors que c'était un Canadien.


On a l'impression que tu essaies de raconter beaucoup de petites histoires. Que penses-tu de l'industrie aujourd'hui, avec la diffusion en temps réel et la popularité massive des films de superhéros?


Quand on était enfants, il y avait une douzaine de formats de films qui pouvaient sortir. Aujourd'hui, il n'y a plus que des films indépendants à très petit budget et Marvel, Harry Potter et Star Wars, et rien entre les deux. Mais la norme reste la norme jusqu'à ce que quelqu'un bouleverse la donne.


Je ne sais pas comment la diffusion en temps réel va se stabiliser. Je ne sais pas encore s'ils ont trouvé un moyen pour que tout le monde puisse en profiter. Mais je sais que je préfère regarder des films à la maison. Tous les directeurs photo vous le diront : l'image est meilleure à la maison! Et j'ai grandi dans la pauvreté. La supposée magie du grand écran? 90 % des films que j'ai regardés et des grandes expériences cinématographiques que j'ai vécues l'ont été à la maison. C'est la vérité. Nous étions des enfants du vidéoclub.


Je sais que tu travailles avec la fille de la légende canadienne David Cronenberg, Caitlin Cronenberg, sur son premier long métrage?


Oui, c'est vrai. [David] est l'un de mes héros et j'ai eu l'occasion d'être dirigé par lui. Caitlin me prend en photo depuis des années, car c'est une photographe très talentueuse et compétente. Sachant qu'il s'agissait de son premier essai, que le scénario était extraordinaire et qu'elle est une artiste hors pair, nous avons tourné ce film intitulé Humane et c'est fou. Je ne veux pas trop en dire, mais c'est très sanglant et... son nom de famille est bien représenté à l'écran.

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Tu as également travaillé récemment avec Arnold Schwarzenegger lors d'un tournage à Toronto. Ç'a dû être surréaliste.


Oui, pendant que je tournais BlackBerry, ils tournaient à Pinewood [les studios de Toronto]. J'étais donc Mike Lazaridis et je faisais la route depuis Hamilton jusqu'ici pour tourner une scène avec Arnold dans le rôle du fiancé de sa fille. Il est probablement la plus grande vedette de cinéma de l'histoire du monde. Travailler avec lui n'a rien de normal.


Enfin, parlons de style. Comment t’y prends-tu?


C'est une sorte d'opposition entre ce que j'aime porter et ce que ma femme veut que je porte. Je ne suis pas un M. Patate comme elle le souhaiterait... certains hommes aiment abandonner. Si elle m'achète quelque chose, je le porterai, mais j'insiste aussi pour m'habiller moi-même. [rires]


Je ne connais aucune marque. Chaque fois que je suis sur un tapis rouge, quelqu'un me demande quelle marque je porte, je ne connais jamais la réponse! Je ne sais jamais. Ce n'est ni une mauvaise ni une bonne chose. Quand c'est important, j'essaie, mais il y a eu beaucoup de fois où c'était important et où j'aurais dû faire plus d'efforts. Je dois donc faire un peu plus d'efforts.


Lorsque tu réalises un film, aimes-tu porter quelque chose de particulier?


C'est une bonne question. Je me demande… Je ne pense pas, mais je sais que j'essaie d'y injecter un peu de militaire. Je pense que la prochaine fois que je réaliserai, je veux porter des bottes de combat et des bandes molletières. [rires]


Photography by Kyle Wilson, assisted by Matt Watkins


Styling by Chunyu Yuan, assisted by Karyssa Paez
Magazine Harry printemps/été 2023
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