Passer au contenu

Michael Hunter, Alex Atala et la cuisine écoresponsable

Par: Ben KrizDate: 2022-06-04

Même s’ils proviennent de sphères différentes, les chefs Michael Hunter (du restaurant torontois Antler) et Alex Atala (étoilé deux fois au Guide Michelin et vedette de l’émission Chef’s Table , sur Netflix) ont beaucoup de points en commun. « J’ai rencontré Alex en Australie, raconte Michael. Je l’ai vu débarquer de l’avion avec une multitude de bagages et de l’équipement de pêche et je me suis dit que ce type avait l’air vraiment sympathique! »

La relation s’est établie naturellement. Après avoir partagé quelques tables en Australie-Occidentale, à Miami et à Sao Paulo (la ville natale d’Alex), les deux chefs ont participé récemment à un souper axé sur l’alimentation durable, organisé par Audi. La rencontre avait lieu dans le quartier portugais de Toronto et avait pour but d’honorer les passions des deux hommes envers la cueillette, la chasse, la pêche et les pratiques écologiques. Vito Paladino, le président de la filiale canadienne du fabricant de voitures allemandes, voulait réunir les deux cuisiniers pour célébrer la viabilité environnementale d’une manière différente : par l’entremise de la créativité culinaire. Comme il l’explique, « le dévouement envers la durabilité et l’électrification est très important pour Audi. Nous croyons que ce sont les seules voies possibles pour l’avenir. »

Avant le repas de quatre services, qui comprenait entre autres du flétan capturé à l’état sauvage en Colombie-Britannique, du canard de l’Ontario, une vichyssoise à l’ail des bois et du tapioca brésilien, nous avons rencontré messieurs Hunter et Atala pour discuter de ce qu’ils se sont enseigné mutuellement, de l’environnement, et de l’inauguration du Guide Michelin à Toronto.

Chef Alex Atala of two Michelin star Restaurante D.O.M., Brazil with chef Michael Hunter of Antler, Toronto at their collaborative sustainable dinner presented by Audi Canada in Toronto, May 14, 2022.

Vous aimez tous deux la chasse, la pêche et la cueillette et avez un lien naturel avec la terre et les animaux. Qu’avez-vous appris l’un de l’autre?

Alex Atala : « Pour moi, ce ne sont pas tant les activités en soi, mais plutôt le choix d’ingrédients et les produits que nous mettons dans notre corps. Pourquoi les gens optent-ils pour le meilleur shampooing ou l’essence de la plus grande qualité? En tant que chef, mon but premier est de préparer de la nourriture délicieuse, ce qui est impossible à partir de mauvais ingrédients. Et les bons produits passent par [le souci de] l’environnement. La chaine alimentaire est puissante, encore plus que les médias sociaux [rires]. Qu’ont en commun les sept milliards d’humains sur la Terre? La nourriture. Facebook et Instagram n’ont pas une aussi grande portée.

« Donc, [Michael et moi] avons les mêmes valeurs… Aller au-delà des attentes en créant des délices [rires]. »

Alex, votre institut Atá (au Brésil) met l’accent sur les ingrédients sauvages. D’où vient cette prise de conscience environnementale? Pourquoi est-elle importante pour vous deux?

Alex : « La région amazonienne possède la plus grande biodiversité au monde et il suffit de gouter à cette richesse pour acquérir un nouveau sens. La relation que nous avons avec cette immense biodiversité commune peut nous aider à sauver la Terre. »

Michael Hunter : « Si nous ne prenons pas soin de l’environnement, il ne sera plus là. Je veux qu’il le soit pour mes enfants et mes petits-enfants.

« Prenez l’ail des bois, par exemple. Il y a des endroits au Québec où il est interdit de cueillir cet oignon sauvage, autrement il pourrait disparaitre complètement. Si je me souviens bien, la loi permet de récolter environ 10 % d’une parcelle, de manière à assurer la sauvegarde de la plante. Ce n’est qu’un petit exemple de la façon dont nous pouvons éduquer les gens et les sensibiliser au respect de la nature, pour que les ingrédients demeurent accessibles dans le futur.

« En contrepartie, nous avons pu récolter de l’alliaire officinale aujourd’hui pour le repas. Cette plante est très envahissante, donc il est possible d’en cueillir en abondance. Elle ne vient pas du Canada et menace actuellement certaines forêts en étouffant la végétation existante. Nous voulons donc en ramasser autant que possible. Un des aspects formidables de notre travail est que nous ne cessons jamais d’apprendre. »

Il est intéressant de voir à quel point la cueillette exige autant d’éducation que la chasse, dont vous êtes un passionné, Michael. Les gens ont souvent une perception négative de la chasse, même celle effectuée de façon correcte et légale. Qu’en pensez-vous?

Michael : « La chasse permet de mettre de la nourriture sur la table. Je veux avoir une alimentation plus naturelle, et je souhaite la même chose pour mes enfants. Les gens ont tendance à penser que le but est d’accrocher un trophée au mur, mais c’est tout sauf cela.

« C’est ainsi que nous avons évolué en tant que peuple : grâce à la cueillette et la chasse. Désormais, nous avons le luxe de l’agriculture et du jardinage et nous pouvons aller à l’épicerie, mais j’enseigne à mes enfants que la viande ne vient pas d’un emballage en styromousse. La chasse est une question de conservation. Je me soucie de la sauvegarde de ces animaux. Le gouvernement réinvestit l’argent provenant des permis et frais dans la protection de ces espèces.

« Le dindon sauvage, par exemple, avait disparu au Canada. Durant les années 80, on l’a réintroduit et c’est l’un des plus grands succès de conservation en Amérique du Nord. Cet animal prospère bien en Ontario; sa population est plus grande que jamais. Je suis un chasseur, mais je me soucie beaucoup plus de la nature que certains pourraient penser. »

Alex, qu’aimez-vous du secteur culinaire au Canada? Qu’est-ce que Michael vous a appris?

Alex : « La relation que vous avez établie avec vos propres ressources naturelles; comment vous les évaluez et votre ouverture, même face aux idées opposées.

« Bien sûr, lorsque nous parlons d’animaux, il est question de compassion. C’est un penchant naturel, humain et émotionnel. En tant que résident du Brésil, je vis tout près de la déforestation et je suis témoin des effets néfastes de la culture de l’argent sur les ressources naturelles et le bien-être des animaux… J’aimerais partager ce que j’ai appris au Canada avec le reste de mon pays et transmettre un message positif aux Brésiliens et aux Brésiliennes. »

Le Guide Michelin fait son entrée à Toronto. Alex, votre restaurant D. O. M. est déjà étoilé deux fois. Avez-vous des conseils pour les chefs du Canada?

Alex : « Je n’ai pas vraiment de conseils, mais je dirais que le Guide Michelin est important pour l’industrie. Nous l’apprécions grandement au Brésil. Il rend le secteur entier plus concurrentiel et le fait passer au niveau supérieur, ce qui est à l’avantage de tout le monde, de la production jusqu’à la cuisine. »

Michael, que pensez-vous de cette nouvelle?

Michael : « Je crois que c’est fantastique! En tant que chef canadien, j’adore le fait qu’Alex a contribué à définir la cuisine brésilienne. Quand j’étais jeune, je ne pouvais pas aller faire un stage en France ou en Italie et travailler dans les restaurants étoilés Michelin. L’arrivée du Guide au pays est très excitante. Toronto est l’une de nos grandes villes multiculturelles. Ce serait vraiment intéressant d’y voir encore plus de restaurants qui repoussent les limites culinaires. »

Maple tarte, Bacuri ice cream and Amazonian ant.

Que pouvez-vous nous dire au sujet du repas que vous préparez ensemble?

Michael : « Nous combinons les cuisines canadiennes et brésiliennes… dans le quartier portugais. Alex a apporté des ingrédients incroyables de son pays, qui ne me sont pas familiers. Nous avons aussi passé du temps dans la nature et je lui ai montré quelques-uns des produits qui me passionnent. »

Alex : « En tant que Brésilien, j’aime partager des saveurs originales, pour que les gens découvrent la région d’où je viens! »!

TAGS:#Living,